Histoire

Qu'en est-il de cette maison qui a été non seulement l'habitation de notre grand musicien mais qui est aussi une bâtisse historique du XVIIème siècle ?


Le logis du Bras d'Or



La famille Milhaud en vacances à l'enclos


La Ville d'Aix s'est agrandie autour d'un noyau central médiéval (Cathédrale - Palais Comtal) du quartier Villeneuve en 1583, du quartier Villeverte en 1605 et du quartier Mazarin en 1646. L'un de ces nouveaux quartiers, celui de Villeverte, était celui des grands prés. Une fontaine y coulait, alimentée par la source de la Traverse de la Molle dont M. de Sylvacane était propriétaire. Le 16 mai 1683, la Ville lui accordait une concession à perpétuité ainsi qu'à ses descendants. Les eaux conduites jusqu'à Villeverte devaient, après "usage des particuliers et usage des bestiaux à volonté" (Le Fontainier, D.J.E. CHOL), être portées au devant de son habitation, traverse de l'Aigle d'Or.

Pourvu d'eau, le quartier naîtra au début du XVIIème siècle, des constructions s'y édifièrent, créant le Cours des Cordeliers, centre de négoce et de commerçants, conservant toutefois son caractère rural, témoin ces larges portes cochères qui s'ouvraient à l'arrière des maisons dans des entrepôts de grains et d'amandes, nombreuses y étaient les auberges.

Une nouvelle fontaine fut construite à l'extrémité du Cours, payée le 27 juin 1684 (120 livres et 20 sols) ; une décision consulaire considérant que le faubourg (c'était son nouveau nom) était le passage des étrangers revenant de France et d'Italie et des montagnes à Marseille. Un nœud routier venait de naître, c'était une entrée d'Aix.

Dans ce cadre, fut construit à la place d'une vieille auberge du Moyen Age, le Logis du Bras d'Or vers 1670, grande auberge destinée à recevoir voyageurs et commerçants de tous genres avec leurs bestiaux (principalement moutons). Les bêtes avaient une fontaine abreuvoir en face du Bras d'Or et la petite hauteur de la margelle leur permettait une approche facile.

Quiddu Logis du Bras d'Or ? Un rez-de-chaussée, un étage, sept fenêtres de façade rythmant agréablement volume et décors, très belle corniche denticulée, ancoules massives et niche d'angle. L'ensemble, sans doute très solide, a résisté à trois siècles depuis 1973, date à laquelle Darius Milhaud a vendu sa maison à la Ville d'Aix en souhaitant qu'elle devienne une maison de musique !!! Elle abrite aujourd'hui la Police Municipale. La maison était en parfait état en 1962 lorsque Maître Fret, avoué à la Cour, y avait installé son étude.

Du point de vue urbanistique, ce bâtiment constitue un axe majeur dans la scénographie de l'ancien Cours des Cordeliers (actuel Cours Sextius), créé par décision des Consuls de la Ville en 1670 sur les plans de l'architecte Louis Cundier, auquel Aix doit notamment l'Hôtel de Grimaldi-Régusse ; le supprimer équivaut à détruire les proportions harmonieuses d'un ensemble aux éléments judicieusement mis en place. A Aix, un cours est une avenue plantée d'arbres, fermée à une extrémité : le Cours Mirabeau est fermé par l'Hôtel du Poët, le Cours Sextius par le Logis du Bras d'Or.

La maison de Darius Milhaud

"En 1892, Aix n'était pas la ville trépidante d'aujourd'hui (écrit en 1962). Elle avait cependant une activité économique qui faisait à la fois sa richesse et sa gloire ; elle était la capitale des amandes. Certains de es négociants étaient issus de cette originale communauté d'israélites du Comtat Venaissin, vraisemblablement venus avec les premiers phéniciens et profondément enracinés en sol provençal" (Extrait des Prémices Aixoises par Claude Clément)

Darius Milhaud n'est pas né le 4 septembre 1892 à Aix dans cette maison, mais à Marseille où sa mère avait souhaité mettre au monde son enfant dans sa famille maternelle, mais comme le dit Armand Lunel dans son livre Mon ami Darius Milhaud, "il était aixois de cœur et de conviction". "Après leur mariage, dira Darius, mes parents s'installèrent au Bras d'Or à Aix, c'est dans cette vieille maison que s'écoula mon enfance", entre "son père, Président du Tribunal de Commerce, homme intègre et respecté, et sa mère, une créature adorable et rayonnante, jolie voix de contralto, qui avait reçu une culture raffinée qui faisait d'elle la plus tendre des mères et la plus distinguée des maîtresses de maison" (Prémices Aixoises par Claude Clément).



L'ambiance familiale était charmante et animée. On s'extasiait entre amis devant le petit phénomène qui, à trois ans, avait joué sur le piano une chanson italienne entendue dans la rue. Il apprit le violon avec Maître Bruguier, participa aux concerts de la Société Muniscale d'Aix, connut César Franck et Claude Debussy ; il improvisait dès l'âge de quatorze ans pour l'enchantement de ses proches et de ses amis.


Ses études terminées au lycée Mignet d'Aix en compagnie d'Armand Lunel, il entrait au Conservatoire de Paris mais, à chaque occasion ou période de vacances, il revenait dans sa famille et dans ce Logis du Bras d'Or qu'il a lui-même décrit dans son livre Notes sans musique : "De la fenêtre de ma chambre, je pouvais suivre des yeux le Cours Sextius jusqu'à l'Etablissement Thermal, ce qui était fort distrayant, les jours de marché surtout. On y voyait des carrioles, des mules, des denrées de toutes sortes, et comme dans les toiles de Cézanne des paysans vêtus de blouses bleues qui s'attardaient à boire et à jouer aux cartes dans les cafés… Nous occupions tout le premier étage du Bras d'Or. Mon père qui dirigeait une maison de commerce pour le négoce des amandes (fondée en 1806 par mon grand-père) avait installé ses bureaux au rez-de-chaussée. A peine réveillé, j'entendais les traineaux des ouvriers transportant les sacs, les conversations des transporteurs occupés à charger ou à décharger des marchandises, le départ des camions trainés par deux puissants chevaux".

"L'été, quand la famille Milhaud allait passer ses vacances à l'Enclos (aujourd'hui urbanisé), c'était une expédition qui se préparait plusieurs jours à l'avance. Départ aux premières heures du matin, pour partir à la fraîche" (Conversation après repas avec M. L. Ravaux, le célèbre garçon du Café des Deux Garçons).

Enjeux actuels et devenir du Logis du Bras d'Or

Que va devenir cette maison menacée de destruction pour la deuxième fois ? Sera-t-elle ou ne sera-t-elle pas un lieu de mémoire comme notre Association le souhaite ardemment et comme l'Architecte des Bâtiments de France l'a demandé ? Elle a été menacée dès 1981, toujours par le projet d'urbanisme Sextius-Mirabeau, mais elle a été sauvée par une étroite collaboration entre la puissant association des Amis Américains de Darius Milhaud, l'intervention de Madame Madeleine Milhaud (lettre de Madeleine Milhaud du 17 Juillet 1981 adressée à l'Association Américaine des Amis de Darius Milhaud, approuvée par Olivier Messiaen, Jacqueline de Romilly, Aimé Dutilleux et Germaine Taillefer), une pétition lancée par notre Association et l'appui de la Mairie d'Aix (à l'époque Alain JOISSAINS).

Peu importe qu'actuellement Madame Milhaud, bientôt centenaire, se désintéresse de cette maison, ainsi que disent les partisans de la démolition, elle ne lui appartient plus juridiquement et peut-être sentimentalement mais Darius Milhaud n'est plus dans le cocon familial. Il en est sorti par son talent, sa notoriété, son rayonnement ; il appartient maintenant au patrimoine mondial, et plus prosaïquement et économiquement parlant à Aix : si Cézanne is money, Darius Milhaud l'est aussi.


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